Rainbow Warrior 1978 – 1985
166 photos en bas de texte.
(English version page 4 and 5)
QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE DE L’ATTENTAT DU RAINBOW WARRIOR
Le 10 juillet 1985, à 23h48 et 23h51, deux bombes trop puissantes posées par les services secrets français coulaient en moins de quatre minutes le Rainbow Warrior de Greenpeace dans le port d’Auckland. Dix personnes se trouvaient à bord de ce bateau qui menait à l’époque une campagne contre les essais de bombes nucléaires dans l’océan Pacifique. Fatal pour mon ami, le photographe Fernando Pereira, cet attentat terroriste, ourdi par le président François Mitterrand (1) et véritable déclaration de guerre contre la Nouvelle-Zélande, est rapidement devenu un incroyable fiasco politique international et une scandaleuse affaire d’État, aujourd’hui racontés dans les livres d’histoire.
En 1980, à l’âge de 23 ans, j’ai eu la chance d’embarquer sur le Rainbow Warrior comme photographe et membre d’équipage. C’était le début d’un long chemin aux côtés de Greenpeace, pour qui j’ai photographié, sur une période de 37 années, 220 reportages dans une quarantaine de pays à bord de douze bateaux. Au début de cette épopée, j’ai vécu un an sur le Rainbow Warrior lors de quatre campagnes spectaculaires et j’ai été le témoin des victoires remportées avec ce bateau.
Récemment, Greenpeace International a accepté de me retourner 35 kg de mes négatifs et diapositives qui étaient archivés dans leurs bureaux d’Amsterdam. Je viens de finir la numérisation de ce fonds unique après une longue opération de « sauvetage partiel » d’originaux argentiques déjà très abîmés par le tumulte des années. Dans ces archives, j’ai redécouvert beaucoup d’images oubliées. Elles nous entrainent au cœur de la vie quotidienne des équipages du Rainbow Warrior.
Pour saluer la mémoire de ce bateau si particulier, je propose ici un portfolio inédit en cinq parties qui court de 1980 à 2015, jalonné par de nombreuses photos d’actions directes non violentes qui soulignent la témérité et l’engagement de ces précurseurs de la défense de l’environnement.
Ce récit photographique commence avec mon tout premier reportage pour Greenpeace, réalisé lors d’une attente de trois semaines au large des côtes britanniques afin d’accueillir, avec tambours et trompettes, un cargo chargé de déchets nucléaires japonais.
La campagne suivante sera plus longue ; six mois d’intenses péripéties en Espagne. En 1979, les Espagnols ont tué 429 baleines au large de leurs côtes. « On est jeunes, on a le feu sacré. On croit que les baleines font partie de l’héritage commun de l’humanité, on n’est pas d’accord avec leur extermination, et l’on est bien décidé à le faire savoir… » (2). Cette aventure s’est terminée par une évasion rocambolesque du port militaire d’El Ferrol et par un moratoire mondial contre la chasse à la baleine voté par la Commission baleinière internationale dès 1982. Ce triomphe est gravé en lettres d’or sur la longue liste des victoires de Greenpeace.
À peine remis de nos émotions, nous reprenions la mer avec le Rainbow Warrior et traversions l’Atlantique pour nous opposer aux tueurs de bébés phoques, en 1981 sur la banquise du Labrador et en 1982 sur les glaces du golfe du Saint-Laurent. Campagnes qui déboucheront en 1983 sur un embargo total de l’Union européenne sur l’importation des peaux de phoques, ce qui provoquera l’effondrement de cette chasse au Canada.
En aout 1985, j’ai été missionné par l’agence Associated Press pour couvrir la reprise de la campagne de Greenpeace contre les essais nucléaires français dans l’océan Pacifique sur un nouveau bateau, affrété dans l’urgence pour pallier la disparition du Rainbow Warrior. En octobre, en débarquant à Auckland après 43 jours de mer, j’ai pu suivre le procès des « faux époux Turenge », nom d’emprunt des deux agents de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) interpellés à l’issue de la plus vaste enquête policière jamais réalisée en Nouvelle-Zélande. Inculpés et incarcérés pour le meurtre de Fernando, leur charge sera ensuite requalifiée « d’homicide involontaire ». 150 journalistes de toutes nationalités demandèrent une accréditation auprès du tribunal pour suivre cet évènement à l’issue duquel les faux époux Turenge ont été condamnés à dix ans de prison.
À Auckland, j’ai aussi pu réaliser mes dernières photos du Rainbow Warrior avant son immersion dans la réserve marine de Matauri Bay. Aujourd’hui, cette épave chargée d’histoire est devenue une attraction touristique visitée par des plongeurs venus du monde entier.
Avant le 10 juillet 1985, la notoriété du Rainbow Warrior était déjà très forte, l’attentat en a fait une légende.
Pierre Gleizes
1 Voir le témoignage de Pierre Lacoste, directeur de la DGSE, « Un amiral au secret », Flammarion, 1997
2 Voir mon livre « Rainbow Warrior mon amour », trente ans de photos aux côtés de Greenpeace, Glénat 2011, disponible en version numérique. https://pierregleizes.com/livre/