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LA GRANDE EVASION DU RAINBOW WARRIOR

 

 

 

 

 


De g à d. Pierre Gleizes (France), Tony Marriner (Afrique du Sud), Athel von Koettlitz (Royaume-Uni), David McTaggart (Canada), Jon Castle (Guernesey), Tim Mark (Royaume-Uni) et Christopher Robinson (Australie). 12 novembre 1980, Jersey, un équipage heureux.

(40 photos en bas de texte)

Un anniversaire et un triomphe pour les baleines, une histoire pour garder le moral.

Il y a quarante ans, je participais à l’évasion du Rainbow Warrior du port de Ferrol en Espagne où le bateau était retenu depuis 143 jours. Une aventure rocambolesque dont je raconte tous les détails dans mon livre Rainbow Warrior mon Amour paru aux éditions Glénat en 2011.

CONTEXTE : dans le cadre de la campagne de Greenpeace pour la protection des grands cétacés et après une confrontation directe avec un baleinier espagnol, nous avons été arraisonnés en haute mer par la marine militaire et remorqués manu militari dans le port de Ferrol. Afin de nous immobiliser, un juge militaire ordonna le démontage et le transfert à terre d’une pièce maîtresse de la salle des machines ainsi que la surveillance continue du bateau par la police. Pour nous laisser repartir, il nous réclamait une caution financière équivalente au double de la valeur du bateau. Cette somme aurait pu être reversée à l’industrie baleinière pour dommages et intérêts à l’issue d’un procès douteux et Greenpeace n’était, de toutes façons, pas en capacité de la régler…

En mémoire du Rainbow Warrior, coulé en Nouvelle Zélande en 1985 lors d’un attentat terroriste ourdi par les plus hautes autorités de l’Etat français et durant lequel mon ami photographe Fernando Pereira a été tué.

Temps de lecture : douze minutes

Pierre Gleizes, 8 novembre 2020

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La grande évasion

Le Rainbow Warrior est sous surveillance policière vingt-quatre heures sur vingt-quatre, amarré dans un bassin de commerce perdu au milieu d’un vaste port militaire rempli de navires de guerre, au fin fond d’une rade séparée de la haute mer par un long et étroit goulet dominé par deux forts. Il nous manque une pièce de soixante-dix kilos dans la salle des machines, la justice militaire nous réclame dix millions de pesetas pour avoir sauvé trois baleines, et ça fait trois mois que nous sommes là. Pendant ce temps, IBSA a tué deux fois plus de rorquals que son quota, et c’est nous que l’on traite de bandits ! À bord, le moral commence à baisser…

Un soir, chez Vanelius, l’un des bars où nous avons nos habitudes, Tim, le chef mécano, se tourne vers Jon :

– Je pense arriver à faire un relevé suffisamment précis du palier de butée pour commander un nouveau couvercle en Angleterre…

Nous sommes cinq autour de la table. Un silence de plomb s’installe. Jon est le premier à réagir :

– Tu peux répéter ce que tu viens de dire Tim, s’il te plaît ?

Tim s’exécute. Nous avions bien entendu…

Jonathan Castle est le marin le plus fascinant que je connaisse. Il est né sur l’île de Guernesey, qui est entourée par l’une des mers les plus inhospitalières d’Europe. On y raconte qu’il savait ramer avant de savoir marcher. Dès 1978, il est l’un des premiers volontaires à attaquer la rouille du Sir William Hardy pour le transformer en Rainbow Warrior. Son brevet de capitaine en poche, il vit de réflexions spirituelles et se nourrit de paysages marins. Les possessions matérielles l’indiffèrent, ce qui fait de lui un homme libre qui ne connaît pas les compromissions. Son engagement pour la protection de l’environnement, sa compréhension de la mer, ses compétences de navigateur et son courage hors du commun ont fait de lui une légende vivante au sein de Greenpeace. Son charisme, sa gentillesse et notre amitié sont tels que nous sommes tous prêts à nous faire couper une main pour notre capitaine : où Jon va, nous allons…

Il répond à Tim :

– Si tu me fais tourner l’hélice assez vite, je crois que c’est faisable.

Ainsi commença notre projet d’évasion de l’un des plus grands ports militaires espagnols.

3 OCTOBRE

Déplacé le Rainbow de cent mètres pour faire le plein d’eau douce. Cela nous permet de supprimer discrètement de nombreuses amarres, de précieuses secondes gagnées pour le grand soir. Notre plan s’est un peu décanté. Nous savons que nous devons, dans l’ordre : fabriquer et ramener d’Angleterre un nouveau couvercle de butée, l’embarquer sous le nez de la police qui nous veille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le monter sur l’arbre de l’hélice, l’essayer tant que faire se peut, attendre une nuit propice (de préférence un week-end avec une tempête), larguer les amarres à la vitesse de l’éclair et disparaître dans l’obscurité encore plus vite (pas facile avec trois policiers sur le quai), sortir de la rade de Ferrol, passer sous les forts qui gardent le goulet, le remonter jusqu’à la mer, sortir des douze milles territoriaux et des deux cents milles économiques, aller demander l’asile politique au Portugal si nous sommes poursuivis. Ce n’est pas gagné…

Inquiet, je dresse aussi une liste de tout ce qui peut faire rater notre plan : une fouille du véhicule qui apporte la pièce à la frontière, une interception sur le quai avant que nous puissions embarquer le palier de butée, l’absence de tempête avant le printemps, un poli- cier qui saute sur le pont alors que nous sommes encore à deux mètres du quai, une vedette rapide qui nous aborde tandis que nous sommes encore en rade, un patrouilleur qui nous rattrape une fois en mer et nous tire dessus pour nous forcer à stopper les machines… Avec les trois tonnes d’essence pour moteur hors-bord que nous avons encore sur le pont, cela ne nous ferait pas rire du tout…

Mais bon, on n’a plus rien à perdre, on est prêt à prendre quelques risques. Hier soir, en rentrant à bord à minuit, nous avons l’heureuse surprise de ne pas voir la Jeep de la police. La relève arrive, mais nous avons passé au moins quinze minutes sans gardien. Exactement ce dont nous allons avoir besoin.

11 OCTOBRE

Bonnes nouvelles de Tim en Angleterre. La naissance du « bébé » approche, et tout va bien.

13 OCTOBRE

Nous laissons tomber les récurrents travaux de peinture et commençons à préparer le plus discrètement possible le bateau pour la mer. Ça m’arrange, peindre les fonds de cale pendant des semaines, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé.

 18 OCTOBRE

Attendre, je ne sais plus faire que ça. Depuis quatre mois, j’apprends à taper à la machine avec dix doigts en recopiant ma méthode d’espagnol Assimil. D’une pierre, deux coups. Nous ne sommes plus que cinq à bord. Tim et Tony doivent bientôt quitter Londres en minibus avec le bébé.

24 OCTOBRE

Ça y est, ils sont là. Le van est sur le quai, et les policiers, qui ne les ont pas reconnus, ont vérifié leurs passeports et laissez-passer avant de les autoriser à monter à bord. Ouf, ils n’ont pas fouillé leur véhicule. L’action reprend soudain la main sur la monotonie de nos journées. Pour le moment, Tim et Tony sont partis se coucher car ils viennent de traverser l’Europe non-stop par les petites routes. Après leur réveil, soirée chez Vanelius. Le patron, Pépé, n’arrête pas de nous payer des tournées de bière pour nous remonter le moral. C’est devenu un ami, mais nous ne pouvons rien lui dire de nos projets d’évasion.

Nous sommes six autour de la table. Tim, qui n’est jamais à court d’idées, nous lance : – Les gars, vous vous souvenez du petit tanker militaire déclassé le long duquel nous étions amarrés à Londres en mars dernier ? En tournant dans les docks, j’ai rencontré son propriétaire la semaine dernière, il part refaire sa vie en Afrique du Sud et vend son bateau à un prix de malade. Il n’en veut que six mille livres sterling, mais tout de suite… Si le bateau est aussi sain que Tim nous le dit, ce n’est vraiment pas cher. Quoiqu’il advienne dans les jours suivants, nous sentons tous que nous nous rapprochons de la fin de notre histoire en Espagne. Notre connivence est très forte et nous sommes tous heureux de partager nos journées avec un but commun. Mais que deviendrons- nous quand cette page se tournera ? Rebondir collectivement sur un nouveau projet nous plaît, et Jon démarre à fond sur l’idée.

– On pourra faire du transport d’eau potable. Aux Antilles, il y a des tas de petites îles touristiques qui ont des besoins continuels qui ne sont pas satisfaits.

Et voilà, l’affaire est emballée, nous posons chacun un engagement de mille livres sterling sur la table au milieu des bouteilles de bière vides. Tim se lève, attrape le téléphone sur le zinc, appelle Londres et achète le tanker… Ça y est: en vingt minutes, je suis devenu propriétaire d’un sixième de bateau-citerne réformé de la Royal Navy et armateur, transporteur d’eau potable ! La vie réserve parfois de sacrées surprises.

Pépé, qui a suivi notre conversation avec amusement, a la bonne idée de rajouter une tournée…

27 OCTOBRE. 4 heures du matin

Nous avons encore du mal à y croire, mais le palier est à bord. Après une longue soirée chez Vanelius, nous avons décidé de tenter le tout pour le tout, n’ayant pas remarqué de temps mort dans les relèves de police depuis longtemps. En rentrant, nous avons donc garé le minibus entre la Jeep de la police et le Rainbow. Chris et moi sommes passés côté police en braillant comme des ivrognes pour chercher des canettes de bière dans le coffre et ainsi attirer l’attention sur nous. Pendant ce temps, de l’autre côté du van, Athel et Tim vivaient des secondes très éprouvantes. Après avoir déposé le palier sur le quai (avec un « cling » que l’on aurait pu entendre jusqu’à Madrid), ils s’apercevaient – trop tard – que la marée avait fait tomber l’échelle de coupée sur le pont du Rainbow. Athel s’est donc laissé glisser, dos au quai, d’un mètre de hauteur avec soixante-dix kilos dans les bras. « Quand il faut faire quelque chose, on le fait », dira-t-il modestement alors que nous soignons les vilaines entailles qu’il s’est faites dans la peau.

28 OCTOBRE

Tim a un grand sourire. Il a fait plus de quinze mille kilomètres en Europe pour trouver une solution à notre problème. Fabriquer un couvercle de palier de butée sans disposer du palier lui-même n’avait jamais été fait avant. C’était un pari technique énorme, et le résultat lui convient. Ses cotes étaient bonnes.

29 OCTOBRE

Tony vient de plonger discrètement une demi-heure sous le bateau pour nettoyer toutes les prises d’eau de refroidissement. Il nous raconte que la coque s’est transformée en ferme marine : algues et coquillages ont bien apprécié l’immobilité du Rainbow depuis quatre mois.

31 OCTOBRE

Nous avons pris le risque d’essayer, une fois la nuit tombée, un des quatre moteurs à cinquante tours/minute pendant un quart d’heure. Le bruit du générateur électrique tournant régulièrement pour nos besoins nous a permis de masquer celui du deuxième moteur. Un vrai scénario de film d’espionnage : Jon et Tony sur la passerelle, dans le noir complet, devant le télégraphe transmetteur d’ordre ; Athel, dans les W.-C. arrière, surveillant une grande partie du dock ; Tim, dans la salle des machines, le nez sur le palier et les yeux sur le télégraphe, prêt à tout arrêter; moi, dans le minibus garé à côté de la police, moteur tournant, autoradio à fond, faisant semblant d’attendre quelqu’un. Il est convenu que si je vois un policier bouger le petit doigt, j’allume mes phares et Tony bascule le télégraphe sur « Stop ». C’est fantastique de voir le Rainbow tirer sur ses amarres après quatre mois de coma. À vingt mètres de là, les trois policiers assis dans leur voiture n’ont rien remarqué.

4 NOVEMBRE

David McTaggart est à bord. Il a embarqué clandestinement hier en prenant le manteau et le bonnet de Tim. Nous sommes maintenant sept pour tenter la sortie de la dernière chance. Nous sommes prêts, les scellés de justice posés sur la salle des radios ont été forcés, toutes les batteries remises en charge, le gyrocompas soigneusement vérifié. Nous avons fait des courses pour quinze jours dans plusieurs magasins différents pour ne pas attirer l’attention. David est le directeur exécutif de Greenpeace International. Autant dire « The Boss ». Il est très connu dans le monde écolo à plusieurs titres. D’abord pour ses trois croisades à bord de son voilier Vega pour protester contre les essais nucléaires français à Moruroa, au milieu de l’océan Pacifique. Il n’a jamais accepté que la France déclare unilatéralement une zone militaire interdite à la navigation de cent douze kilomètres autour de cet atoll, en violation de la règle des douze milles marins, seule reconnue par tous les pays de la terre. Lors d’un arraisonnement violent dans les eaux internationales, il a failli perdre un œil à cause des coups de matraque d’un militaire, et son procès contre l’État français pour piraterie a été long et retentissant.

Ensuite, ses compétences d’homme d’affaires avisé lui ont permis de réussir une mission impossible : fédérer, en 1979, tous les bureaux Greenpeace existants au sein d’une seule structure : Greenpeace International. En effet, en l’absence de tous statuts, le Canada et les États-Unis se tiraient déjà dessus à boulets rouges par tribunaux interposés. Et la zizanie menaçait de gagner l’Europe. Officiellement, il embarque avec nous pour endosser la responsabilité de ce qui va se passer lors de notre tentative d’évasion. Surtout si nous perdons définitivement le Rainbow. C’est plutôt sympa pour Jon. Officieusement, c’est un gars qui adore les situations mouvementées, et on sent bien que ça lui fait plaisir d’être avec nous, même si ses angoisses de dernière minute prennent beaucoup de place au milieu de notre petite équipe très soudée.

5 NOVEMBRE

Dimanche après-midi, grand beau temps. Le Rainbow est devenu un but de promenade familiale, et nous voyons défiler la moitié de la ville endimanchée devant nous.

6 NOVEMBRE

Une haute pression s’installe tranquillement sur le cap Finisterre et y reste. Horreur, il fait beau !

7 NOVEMBRE

Tout le monde est d’accord pour essayer demain samedi. À trop attendre, nous risquons de brûler nos chances de réussite. Un nouveau juge militaire a été nommé pour notre affaire et il n’est encore jamais monté à bord. L’idée de nous rendre visite pourrait bien lui venir à tout moment, et vu la surprise qui l’attend dans la salle des machines, ce serait une catastrophe.

8 NOVEMBRE, 20 heures

Cent quarante-troisième jour d’arrestation. Relève de la police mal coordonnée. La Jeep s’en va, en laissant sur le quai un seul policier qui ne tarde pas à rejoindre un copain douanier vers le petit bassin du port.

ON Y VA

C’est devenu très sérieux à bord et tout le monde sait au millimètre près ce qu’il doit faire. Jon et David restent dans la timonerie : si le policier revient, tout est encore annulable jusqu’à la première amarre larguée. En bas, Tim et Athel établissent un nouveau record du monde de démarrage de moteurs diesel : quatre en deux minutes. Chris et Tony, sur le gaillard avant, larguent tout. Par le hublot de la douche arrière, je tranche avec mon Opinel la dernière amarre qui nous relie à l’Espagne. Nous glissons dans la nuit et traversons cette petite mer intérieure que nous connaissons si bien maintenant… Tous feux éteints, nous abordons le long goulet vers l’océan Atlantique et passons sous les deux forts qui gardent l’entrée de la rade militaire. Aucune sentinelle ne semble nous remarquer. Le Rainbow commence à rouler doucement sous nos pieds, j’ai l’impression de rêver…

Nous ne saurons jamais combien de minutes après notre départ les policiers sont revenus sur le quai. Leur laxisme a dû leur coûter cher. Nous en sommes désolés, mais c’est comme ça.

22 heures Cap plein ouest, nous sortons des douze milles territoriaux espagnols. Quelques bateaux de pêche autour de nous font bien notre affaire. Depuis le départ, Jon garde les yeux rivés sur le radar. Alors que nous étions encore à six kilomètres de la côte, il a vu sur son écran un bateau sortir à grande vitesse du goulet d’El Ferrol et longer le littoral. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’une vedette des Affaires maritimes lancée à notre poursuite. Pour une raison restée mystérieuse, les autorités pensent que nous n’avons pas de réserve de gazole et que nous n’irons pas très loin. Ordre a été donné à la vedette de vérifier toutes les criques de la côte où nous sommes susceptibles d’être en cours de ravitaillement auprès d’un bateau ami… Nous voyons, avec un énorme soulagement, cet écho trop rapide à notre goût s’éloigner pour sortir de l’écran radar vers le nord…

Mais rien n’est joué, et Tim nous apporte une mauvaise nouvelle. En l’absence de tout rodage sérieux, le palier est en surchauffe et l’hélice ne peut dépasser cent quarante-cinq tours/minute au lieu de deux cent. De plus, les moules que nous sommes en train d’exporter sous la coque nous ralentissent considérablement. Nous nous traînons à six nœuds, alors que Jon espérait le double.

9 NOVEMBRE

Nouveau cap : plein nord. Il semblerait que nous soyons sur le point de réussir notre coup. Personne n’ose encore le dire, mais tous les regards brillent de joie malgré la fatigue. Nous sommes peu à bord et les quarts sont deux fois plus longs que d’habitude. Paradoxalement, je suis tellement fatigué que je n’arrive pas à dormir. Nous parvenons à capter un bulletin d’informations sur la BBC dans lequel on parle de nous. Ça, c’est très bon pour le moral. Même si l’Armada devait encore nous rattraper, au moins notre tentative ne sera-t-elle pas passée inaperçue.

10 NOVEMBRE

Au lever du soleil, l’espoir devient réalité… Nous sommes au milieu du golfe de Gascogne. Ça y est, on se lâche, on y croit, on a sauvé notre bateau… Après de longues accolades, nous nous tapons dans le dos et dans les mains en éclatant de rire à la moindre occasion. Maintenant, nous sommes les « 7 de Ferrol », frères du Rainbow Warrior pour la vie, « brothers in arms »… La pression énorme avec laquelle nous vivons depuis des semaines va enfin pouvoir retomber.

Jon est notre héros.

Dans la matinée, on brise le silence radio. Tony appelle Portishead en HF pour éviter le trafic espagnol. Notre indicatif « Golf Sierra Zoulou Yankee, this is the Rainbow Warrior » reprend du service après cinq longs mois de silence forcé, et l’opérateur nous bascule sur Londres. C’est le chargé de campagne nucléaire, Pete Wilkinson, qui prend la communication.

– Hey, les gars j’ai le Rainbow en ligne !

Le boucan dans le haut-parleur ! Derrière Pete, on entend tout le bureau anglais hurler de bonheur. À Greenpeace, moins de dix personnes étaient au courant de notre tentative. Quand les premières dépêches de presse annonçant notre évasion sont tombées, la surprise a été totale pour tous les autres. Nous parler en direct et nous entendre confirmer que nous sommes bien en train de ramener le bateau à la maison les met en état de lévitation ! Pete nous apprend que nous faisons la une de trois journaux du matin en Angleterre, et que ça cartonne partout très fort à notre sujet dans la presse internationale depuis deux jours. Jusqu’au moratoire, tout ce bruit va être très utile pour les baleines.

11 NOVEMBRE

L’Armada publie un communiqué où nous pouvons lire qu’elle a sorti trois navires de guerre pour nous rattraper. Nous comprendrons plus tard que nous avons été sauvés par… nos moules ! En effet, les Espagnols ont surestimé notre vitesse et ils ont cherché devant nous… vers le Portugal, vers l’Angleterre et vers la France. On a eu beaucoup de chance. L’amiral José Maria de la Guardia, chef militaire de la zone Atlantique, fera l’erreur de préciser à la presse espagnole déchaînée que nous avons tenté notre coup un samedi soir… Pour un officier supérieur d’un pays membre de l’OTAN en période de guerre froide, admettre que la Marine nationale n’a pu empêcher un vieux chalutier sous surveillance policière continue de sortir d’une rade militaire pleine à craquer de navires de guerre, fait un peu désordre. Il sera viré la semaine suivante par le Conseil des ministres.

Tout ceci nous éloigne un peu des baleines. Notre propos n’a jamais été de mettre l’Armada dans une situation embarrassante, notre cible est toujours Industria Balleneras S.A.

Nous arrivons de nuit à Jersey vers 20 heures avec le fond du dernier réservoir de gazole. Grosse nostalgie et beaucoup d’émotions. Nous venons de réussir l’un des plus gros coups de l’histoire maritime de Greenpeace. C’est la fin d’une aventure fantastique et l’arrivée nous effraye un peu. La vie en haute mer est toujours simple, et quand on nous prévient qu’un gros comité d’accueil de journalistes et d’équipes de télé nous attend sur le quai, ça nous donne plutôt envie de rester au large entre copains !

Au milieu des éclairs de flashs et des projecteurs, j’aperçois Rémi Parmentier, il tient une bouteille de champagne à la main…

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NOTES

Cette longue et difficile campagne de Greenpeace a connu un dénouement en apothéose à la réunion de la Commission baleinière internationale de 1982. Pour la première fois de son histoire, et à une voie près, cette instance a voté un moratoire mondial interdisant la chasse industrielle des grands cétacés.

Le pays dont le changement de vote a fait basculer la majorité dans le camp des baleines était… l’ESPAGNE !

– Me voir avec mes jumelles dans le nid de pie du Rainbow Warrior dans un documentaire réalisé par TF1 racontant notre épopée espagnole ici

– Un aperçu de mes reportages réalisés depuis 1980 pour Greenpeace via mon exposition Sauve qui Veut !

– Mon livre Rainbow Warrior mon Amour ( Ed. Glénat 2011 – 385 pages) se trouve facilement en version électronique. Désormais indisponible dans sa version papier, vous le trouverez d’occasion chez tous les bons libraires.

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