MENACES SUR TOUTES LES LIGNES

Le rapport « L’avenir du transport ferroviaire » remis par Jean-Cyril Spinetta au Premier ministre le 15 février 2018 m’a mis en colère. 

Bien qu’il y soit précisé, page 16, qu’un voyage en train émette vingt-cinq fois moins de CO2/km que le même parcours en voiture, sa conclusion préconise la fermeture de 59 lignes de TER et de 190 gares. 

Pour tenter de comprendre comment, au pays de l’Accord de Paris sur le climat, un rapport officiel pouvait avancer de telles recommandations, je suis reparti avec mes appareils photo sur la piste des trains menacés de disparition. 

C’est officiel. Depuis le 1er janvier 2020, quand nous prenons le train, les prédateurs du monde marchand néo-libéral nous ont fait basculer du statut d’usager d’un service public à celui de client d’une société anonyme. 

Après qu’elle ait eu à subir la catastrophe de la régionalisation et la construction des lignes TGV (qui a siphonné tous les budgets ferroviaires depuis 1980), exiger de la SNCF, en pleine guerre mondiale contre le carbone, qu’elle dégage des bénéfices est aussi ridicule que d’en attendre du Ministère de la Défense. 

Le réseau ferroviaire français à son zénith ressemblait à un rêve. Charles de Freycinet, un visionnaire ministre des transports de la Troisième République a eu l’audace d’imaginer que l’on pouvait relier quelques 300 sous-préfectures au rail en faisant voler les trains au-dessus des vallées… 

Et il l’a fait !

Telle une gigantesque toile d’araignée, 70 000 km de voies ferrées irriguaient le pays. Entretenu, modernisé, étendu, ces infrastructures nous auraient permis de vivre aujourd’hui sans les 330 000 camions et les milliers de cars Macron qui massacrent les routes et empoisonnent l’air que respirent les populations. De plus, la mafia des transports routiers ne contribue toujours pas au financement des routes publiques qu’elle utilise jusqu’à l’usure, aidé en cela par de sidérants mécanismes de concurrence déloyale avec le rail. 

En 2020, ce réseau historique n’est plus que l’ombre de lui même et avec le rapport Spinetta, la chute vers le néant s’accélère. Il reste moins de 24 000 km de lignes en service. 

Souvent, au milieu d’un noeud ferroviaire abandonné, où la rouille le dispute aux ronces, j’ai eu le sentiment de me trouver au milieu d’une zone de guerre. Ces champs de ruines balisent le plus grand gaspillage de moyens logistiques de l’histoire de France. Cette hérésie économique et écologique dépasse l’entendement et le carnage continu : en juillet 2019, le train des primeurs, un service quotidien de fret qui reliait Perpignan au marché de Rungis a été supprimé pour cause de vétusté. Il a été depuis remplacé par 20 000 rotations annuelles de camions. Dans un monde vertueux, une telle incurie aurait provoqué la démission de deux ou trois ministres. 

L’utopie m’aide à vivre. Elle permet d’espérer qu’avec l’effondrement de l’égoïste civilisation automobile prendra fin le suicide climatique dont nous sommes tous les acteurs. Les gares redeviendront les pôles de vie qu’elles n’auraient jamais du cessé être. Pour le bien de tous, et la sauvegarde de notre environnement, le nombre des trains aura été multiplié par dix et le transport des marchandises sera tellement lucratif que celui des voyageurs pourra même être gratuit ! 

Sans oublier les milliers de kilomètres de pistes cyclables qui convergeront en étoile vers toutes les gares et toutes les écoles de France et de Navarre. 

L’année 2020 nous rappelle brutalement que la vitesse transporte aussi des virus mortifères. Elle ne nous garantit ni bonheur, ni sécurité alimentaire…

Photo : gare de Turenne en Corrèze, ligne Aurillac – Brive la Gaillarde 8/2019

Demain, avec la remise en service du réseau Freycinet de 1913, un autre monde est possible. 

PLUS DE PHOTOS SUR : http://pierregleizes.com/portfolio/meutre-sur-la-ligne/

Ce reportage d’envergure est toujours en cours.