La France sous leurs yeux, 200 regards de photographes sur les années 2020, exposition à la BNF de Paris jusqu’au 23 juin 2024
Dans le cadre du plan gouvernemental de soutien à la filière presse, le ministère de la Culture a confié à la Bibliothèque nationale de France la mise en œuvre d’une grande commande photographique. Le budget énorme de cette opération a donné un gros coup de pouce à 200 photographes en leur servant sur un plateau un an de « chiffre d’affaires de survie » . Tant mieux pour eux, mais ce dispositif ne suffira pas pour sauver les photographes.
Cette exposition est un foisonnement pour les yeux et l’on y voit beaucoup de travaux d’une grande qualité. Le défi de la présentation de ces 450 photos a été remporté avec compétence par les commissaires, ce qui était une grosse gageur, mais l’ensemble est malheureusement tiré vers le bas par trop d’images faibles, certaines aux limites du « jemenfoutisme».
Le terme « Grande commande pour le photojournalisme » et le souhait de « mettre en avant la vitalité de la création contemporaine dans le champ de la photographie de presse » se transforment en fourre-tout trop conceptuel et trop ambigu. Depuis quand une photo de Nature morte est elle une œuvre relevant du photojournalisme ? Cette aventure des territoires français, pilotée par des Parisiens, risque fort de finir en coup d’épée dans l’eau.
La chute vers le néant de notre profession s’accélère, en 2023, il ne reste en France que 277 photographes titulaires d’une carte de presse. Aujourd’hui, ce qui pourrait aider les reporters à poursuivre leur chemin, c’est que l’État, et jusqu’au plus petit journal en ligne, respectent la loi et rémunèrent nos images à leur juste valeur quand elles sont utilisées, valeur aujourd’hui détournée vers les actionnaires des GAFA (les nouveaux maitres du monde) par le biais des clics publicitaires. Cette descente aux enfers de notre secteur économique peut être illustrée par mon cas personnel : depuis 20 ans, mes ventes via l’agence de presse parisienne qui distribue toujours mon travail s’effondrent vers le plancher alors que mes archives n’ont fait que croitre sur la même période de façon continue et significative. On n’a jamais vu autant de milliardaires-propriétaires de médias, où sont passés les prix, où sont passés nos clients ?
Gagner cinq euros chez un média en ligne pour l’utilisation de ma photo d’un train volant au-dessus des nuages lors de son passage sur un viaduc, prise de vue qui a nécessité trois jours de repérage et beaucoup de chance, peut être vexatoire… Heureusement que malgré cette disparition de rentabilité, ma curiosité a traqué les cadeaux que nous fait la vraie vie sur le terrain, et mon amour du bel ouvrage photographique ne m’a jamais lâché.
Que l’expo de la Bibliothèque nationale de France donne envie aux plus jeunes de relancer la machine, vive la photo.
Illustration : entrée très métallique de la BNF, 2 avril 2024.