CHASSE et PLAISIR

« T’as pas compris qu’on prend du plaisir dans l’acte de chasse ? » (Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, RMC 9 novembre 2021)

PLAISIR ?

Sur ma photo présentée ici, l’on voit une grive tétanisée sur le sol d’un sous-bois quelques minutes après qu’un oeil lui a été arraché par un plomb de chasse…

Depuis la nuit des temps, de nombreuses espèces d’oiseaux migrent deux fois par an sur des distances considérables. Fait extraordinaire, les balises géographiques de ces déplacements sont gravées au plus profond de l’ADN de ces animaux. Opportunistes, les chasseurs ont rapidement compris que les cols de montagnes étaient des points d’embuscades favorables pour tuer ou mutiler ces oiseaux sur leurs chemins migratoires.

Vingt-deux postes de tir sont positionnés autour du col de Lizarriéta qui sépare la France et l’Espagne sur la commune de Sare dans les Pyrénées-Atlantiques. Chaque poste peut accueillir trois tireurs armés de fusils à trois coups. Le 4 novembre 2021, journée de grands passages, 4661 coups de fusil ont été comptés en ce lieu…

C’est donc un véritable déluge de feu et de plombs qui s’est abattu sur les grives, étourneaux, vanneaux et pitpits tués et blessés ce jour-là. Ces 4661 cartouches représentent environ 2 millions de plombs de chasse dispersés dans le milieu naturel en quelques heures, soit un total de 150 kg d’un métal lourd identifié depuis la chute de l’Empire romain comme un des contaminants les plus toxiques pour l’environnement.

J’ai assisté à tous ces tirs. Le site est sillonné par de nombreux chemins de randonnée qui restent ouverts au public pendant que la mitraille nous retombe dessus. Dans une ambiance de fête foraine, une frénésie collective emporte les tireurs soutenus par les consommateurs assis à la terrasse d’un bar tout proche qui n’hésitent pas à crier et à claquer des mains afin de refouler les vols d’oiseaux vers les fusils, quitte à recevoir en retour une retombée de plombs dans leurs verres.

Souvent, les chasseurs tirent leurs trois cartouches de façon compulsive pour abattre un seul oiseau. Ainsi criblée par des dizaines de plombs, une grive ne sera pas comestible et finira dans une poubelle.

Les oiseaux qui tombent du ciel à proximité des postes de tir sont ramassés par les chiens et les chasseurs. Avec un mépris total pour ces êtres sensibles, nombreux sont ceux jetés de loin, comme de vulgaires déchets, dans des caisses. Quelques-uns vont y agoniser des heures durant sous le regard amusé de certains chasseurs qui ne cessent de les observer s’agiter contre la mort. A quelques mètres de son 4×4, celui qui m’a le plus consterné faisait semblant de jouer de la guitare sur son fusil entre chaque tir, un véritable comportement de psychopathe.

Des centaines d’oiseaux plus légèrement blessés s’écrasent plus loin dans les bois et ne seront jamais recherchés. Il est pourtant facile de retrouver les plus proches, en s’approchant doucement, on les entend crier au milieu des détonations environnantes…

Cette journée de canonnade peut se résumer à un coup de fusil toutes les neuf secondes pendant dix heures, une expérience éreintante pour les nerfs sur fond d’absence totale d’amour pour la nature de la part de ces pseudo-écologistes-autoproclamés. Et nous sommes très loin du record de 2010 où 10 000 cartouches avaient été tirées en une seule journée en ce lieu de guerre névrotique contre les palombes.

Cette chasse cruelle et inutile est purement récréative, elle confine au sadisme. Pour justifier l’injustifiable, Willy Schraen, cité plus haut, reprend le même mot que l’on retrouve dans le dictionnaire Larousse pour la définition de sadisme : « PLAISIR pris à faire souffrir ». Ce manque d’empathie pour les animaux, ce chaos contre nos biotopes et ce gâchis généralisé nous concernent tous et nous questionnent. La chasse de loisir est un baromètre sociétal de la violence qui nous entoure. Notre société ne pourra s’apaiser tant que ces comportements mortifères perdureront contre ces chefs-d’oeuvre que sont les oiseaux. Aujourd’hui, les mots « culture » et « tradition » ne sont plus audibles. Ou alors que les chasseurs commencent par monter à pied aux cols, sac sur le dos et fusil sur l’épaule, comme le faisaient leurs grands-pères !

Pensée amicale à la personne qui m’a accompagné aux aurores sous une pluie de plombs pour réaliser cette prise de vue. Comme dans un voyage au bout de l’enfer, elle a eu le cran de défoncer le crâne de cet oiseau à l’aide d’une pierre afin d’abréger ses souffrances. Tel est le destin de cette grive éborgnée que l’on voit sur ma photo. Son sort nous éclabousse de honte.

Les amis, ne baissons pas la garde devant de telles ignominies, de telles impostures. Malgré le soutien inconditionnel du président Macron à ces tortionnaires pour de minables raisons de clientélisme électoral, la marée de notre désaccord monte. Le vent se lève et les discussions dans les repas avinés de la Saint-Hubert n’ont plus du tout la même tonalité aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Nous sommes en route vers l’interdiction de la chasse aux oiseaux migrateurs.

Ne laissons plus les chasseurs salir notre humanité, la pente est rude, mais nous allons gagner. Dans des contextes tout aussi hostiles, les campagnes pour sauver les phoques et les baleines auxquelles j’ai activement participé par le passé se sont terminées par des victoires éclatantes. Cela nous rappelle que tout est possible, il suffit de le vouloir très fort et d’agir.

Surtout ne pas manquer de regarder la vidéo édifiante de Pierre Rigaux à laquelle j’ai eu le privilège de contribuer et qui illustre cette journée noire.

Tuer n’est pas un loisir. Si vous partagez notre indignation, merci de partager cette tribune.

Pierre Gleizes

/https://www.facebook.com/pierre.rigaux.naturaliste/videos/381811917027696

Ma photo : Col de Lizarriéta, Sare, Pyrénées-Atlantiques, 4 novembre 2021, un plomb de chasse vient d’arracher un oeil à une grive.#sare